Franz LISZT : Concerto pour piano n°2

Publié le par Hugo

 

Par Hugo

 

 

Il faut bien commencer, alors, me direz-vous : pourquoi le Concerto pour piano N°2 de Liszt ? Et bien, parce qu’en tant que compositeur, j’ai souhaité commencer par ce qui représente pour moi un modèle d’absolue fusion entre fond et forme, tous styles, genres et époques confondus. En effet, il semble que cette œuvre (qui demeure l’une des plus célèbres de Liszt, bien qu’occultée par son grand frère, le Concerto n°1 en Mi bémol Majeur) opère une synthèse remarquable entre le discours et le déroulement de l’œuvre.

Franz Liszt (1811-1886) semble, de par sa génération (aux côtés de Chopin et Schumann) appartenir à l’archétype même du compositeur romantique. Nous ne reviendrons pas sur sa biographie si romanesque, mais dirons seulement que son influence sur le XIXème siècle et une bonne partie du XXème est énorme et pas seulement en tant que compositeur. Son jeu pianistique, légendaire et extrêmement novateur sera transmis à travers les générations de pianistes via quelques-uns de ses talentueux élèves, au travers de la forme du récital dont la paternité lui est attribuée. A la fin de sa vie, son aura sur toute la musique instrumentale européenne est incommensurable et beaucoup de compositeurs de la génération suivante (Wagner, Saint-Saëns, Frank, Brahms, Meyerbeer, Borodine ou Smetana) marchent dans ses traces et le consultent pour obtenir ses conseils.

Il y a peu d’exemple de musicien qui se soient tant intéressés à la musique de leur époque et qui aient tant soutenu les productions des jeunes compositeurs (mis à part peut-être Schumann) dans ce siècle où se développe la création de l’artiste individualiste.

Liszt, compositeur souffre, comme généralement les « virtuoses-créateurs », d’une réputation assez mitigée, à l’instar de Paganini, son ami, par exemple. Pourtant, appartenant à cette fameuse « génération 1810 », on peut dire, sans pour autant souhaiter ternir le génie de ses illustres contemporains, qu’il en est le plus novateur. En terme d’écriture pianistique, son influence est comparable à celle de Chopin. Et même s’il n’a le goût littéraire infaillible de Schumann, sa musique possède une intimité indiscutable avec les lettres romantiques. Mais c’est dans le discours et dans la forme et dans cette fusion unique qu’il opère entre les deux que Liszt va bien au-delà de ces contemporains. Il ne s’en tient pas au seul domaine pianistique et donne à l’orchestre quelques-unes de ses lettres de noblesses du XIXème siècle. Oh certes, il n’égale pas un Berlioz ou un Wagner dans la recherche des couleurs, mais il n’en demeure pas moins l’illustre créateur du poème symphonique et son langage influence indiscutablement Wagner, Strauss, Mahler et même Schoenberg.

Les Symphonies et les poèmes symphoniques qui suivent un argument littéraire voient leur forme plus ou moins habillement assujetties à cet argument, mais c’est dans ses pièces de genre et ses concertos dans lesquels la musique touche à l'ineffable (pour reprendre la terminologie de Jankélévitch) que la fusion la plus parfaite entre discours, forme et musique va s’opérer.

Les deux concertos pour piano se déroulent en un seul mouvement divisés par une alternance de tempi lents et rapides. Tous les deux possèdent indiscutablement de nombreux points communs, mais quelques différences notables également. D’un point de vue formel et compositionnel, le second nous semble néanmoins plus abouti.

Comme son prédécesseur, un leitmotiv mélodique simple et efficace le structure. On l’entend, par exemple aux bois (notamment les clarinettes en La) dès l’introduction lente de l’œuvre.

 

Ce motif simple, au dessin chromatique s’imbrique de manière constante au discours de l’œuvre. Ici, contrairement, au concerto en Mi bémol, le propos commence doucement. Progressivement, le piano va faire entendre des arpèges issues de ce motif. Une montée en puissance haletante à la linéarité quasi « Berliozienne » va nous mener à un Scherzo endiablé. Entre temps, on peut noter un passage extrêmement impressionnant de travail sur les sonorités graves du piano, relayées par les cordes graves et les timbales à l’orchestre. Un effet timbrique de piano percussif qui n’a pas fini d’influencer le XXème siècle de Bartok et Stravinsky (nous sommes ici avant 1860 !)

Issu de cette rythmique quasi-primitiviste, le Scherzo, mené par un motif, là aussi simple et efficace est d’un effet redoutable. Ce début de concerto, avec son effet linéaire permanent et ses trouvailles musicales est sans hésiter une des plus belles pages de la littérature pour piano et orchestre.

Liszt continue à développer sous d’autres auspices son Leitmotiv initial, lors d’un adagio contemplatif puis passionné dont il a le secret, puis arrive le finale, mené sur un tempo de marche militaire. Quelques effets orchestraux sont intéressant mais souffriront immanquablement d’une comparaison avec Wagner ou Berlioz. Ce n’est pas tant ici l’orchestration qu’il faut souligner, mais « l’orchestration du piano ». Si on passe outre les inévitables tutti cuivrés de la coda allegro animato, la symbiose du piano et de « son » orchestre est parfaite. Les traits des cordes prolongeant admirablement ceux du piano, par exemple.

Ce Concerto n°2 de Liszt nous semble posséder une certaine perfection de par sa fusion entre langage et forme. Malgré cet assujettissement de la forme au discours, on peut néanmoins déceler la structure tripartite inhérente au concerto classique. Les deux premiers mouvements s’enchaînent au sein d’un seul et même propos. Puis une rupture clairement audible s’opère avant l’adagio central qui précède lui-même un finale au tempo rapide. Liszt se réapproprie ici la forme et donne ainsi raison à cette alternance de mouvements rapides et lents qui constitue l’un des fondements du langage classique. Pourtant, ici, cette structure ne semble pas « imposée » par l’usage comme cela se ressent malheureusement dans les œuvres du même genre, chez ses contemporains, qui n’arrivent pas comme lui à se réapproprier les formes.

Cette symbiose et cette unité dans la diversité d’atmosphère qui constitue l’œuvre se ressent également par le fait qu’elle soit conçue en un seul grand mouvement unifié lui-même par l’utilisation cyclique de ce leitmotiv reconnaissable, malgré les mutations qu’il subit au long de l’œuvre. L’utilisation récurrente d’un thème (surtout lorsqu’il est court) n’est évidement pas signe d’un manque d’inspiration du compositeur (difficile d’arguer que Beethoven fut mal inspiré en composant sa Cinquième !!) mais plutôt une volonté d’insuffler une puissance unificatrice à l’œuvre.

Ce principe cyclique, l’une des principales contradiction entre langage classique et romantique se développe tout au long du XIX ème siècle. On en trouve des prémices dans la musique instrumentale de Beethoven (Cinquième Symphonie ou Sonate n°28 op.101) et celle de Schubert. Il est assumé chez Berlioz (Symphonie fantastique) éminemment présent chez Liszt et bien-sûr Franck et Saint-Saëns, mais c’est dans l’opéra, notamment chez Wagner que ce principe ardemment développé par la suite dans les musiques de film au XX ème siècle trouve sa pleine mesure. Il est d’ailleurs amusant de noter que ce fil conducteur narratif désormais convenu soit apparu dans la musique instrumentale de prime abord !

L’admirable structuration cyclique de l’œuvre dans un moule formel si adapté, constituent, avec le langage musical de Liszt, les raisons de mon admiration pour ce concerto. Ce langage qui vise à utiliser des motifs brefs et efficaces, à innover dans la narration musicale, dans l’utilisation du rythme, dans le travail inédit sur les potentialités du timbre instrumental, dans cette orchestration du piano si bien menée (et si nouvelle, pour l’époque, là aussi !) me semble autant de marques de la posture résolument moderne que Liszt-compositeur adoptait.

Ses liens profonds avec les créateurs artistiques d’autres disciplines ( Eugène Delacroix, Georges Sand…) Son intérêt pour toutes les musiques de qualités, allant de Verdi jusqu’aux jeunes compositeurs (Borodine lui doit tant !) et de la musique française à la musique hongroise (de ses origines) et Tzigane témoignent de l’ouverture d’esprit de cet européen (ce citoyen du monde ?!) avant l’heure. En tant qu’ « écrivain de musique » il a beaucoup paraphrasé et transcrit ses contemporains (plus de la moitié de son œuvre !), mais en tant que créateur, il est le génial auteur d’œuvres incontournables telles que sa Sonate en Si mineur ou ses Douze études d'exécution transcendante. Et bien sûr ce concerto pour piano œuvre à la fois exigeante et hédoniste qui ravira tout mélomane.

Publié dans Panthéon de Hugo

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