A la recherche d' un son disparu

Publié le par Le Blog en Shpeel

The Art of Svetlanov- tel est le titre d' un coffret  récemment paru chez l' éditeur anglais Scribendum  et consacré au grand chef russe disparu il ya tout juste dix ans.

Il regroupe divers enregistrements russes datant de 1966 à 1985 - donc d' origine Melodiya, en pleine période soviétique- qui nous font entendre et (re)découvrir le style et le son si particuliers du tandem qui unissait Evgueni Svetlanov (1928-2002) et "son" Orchestre d' Etat d' Urss.

Car se pencher sur l' art du chef à cette époque, c' est d' abord se pencher sur une identité sonore, celle des orchestres soviétiques en général, rêche, typée, colorée, aux cuivres puissants (et vibrants!) et aux cordes qui se soucient peu de soyeux. Un son d' avant la mondialisation (l' uniformisation) en quelque sorte, qui nécessite une adaptation pour les oreilles novices, mais dont on ne peut plus se passer une fois adopté, surtout dans le répertoire russe.

Svetlanov, qui partageait avec ses musiciens, de par ses origines et son éducation, cette culture du son, bâtit sur ces fondements communs aux orchestres russes de l' époque (la facture ou la mauvaise qualité des instruments a sa part de responsabilité), un style unique, exaltant le caractère grandiose, épique et violent des oeuvres abordées et qui usait de toute la puissance de sa phalange. C' est dire si le raffinement n' était pas considéré comme sa qualité première ...

Cependant, ce qui marque peut-être le plus à l' écoute, c' est cette façon extatique de faire chanter les phrases et ce jeu toujours imaginatif, caractérisé, vigoureux qu' il obtient de ses instrumentistes ! Et les équilibres, la construction, les proportions ne sont jamais mises en péril.  

 

Toutes ces caractéristiques trouvent évidemment le mieux à s' employer dans le répertoire russe. 

Au sommet du coffret (et de son legs), les oeuvres orchestrales de Tchaikovsky : si vous n' avez jamais entendu Svetlanov dans les symphonies, avec un monumental adagio de la Pathétique et un Manfred qui passe sans aucune longueur ou dans le méconnu (mais superbe) poème symphonique "la Tempête" (Shakespeare...), alors ne perdez pas de temps.

Et je ne vous parle pas de la coda de Francesca (mais les mauvaises langues diront que ça ressemble plus à de Varèse) .

 

Au même niveau d' engagement, sans fioritures d' âpreté rythmique mais surtout de puissance sonore et expressive, la 2ème de Rachmaninov, la Leningrad de Chostakovitch et même les symphonies de l' apparatchik Khrennikov, qui fut le patron de l' Union des Compositeurs soviétiques et le persécuteur de Prokofiev, Chostakovitch... et de toutes les tendances bourgeoises qui contaminaient l' art sain et vigoureux de la patrie du socialisme .

Avouons qu' à défaut de génie, sa musique est très bien faite et s' écoute avec grand plaisir (si on aime le Chosta de la 11ème ou Khatchaturian, je préviens...).

 

L' honnêteté nous force néanmoins à dire que les spécificités sonores de son orchestre (et de son propre geste d' interprète) produisent un résultat plus "exotique" dans le grand répertoire occidental (Beethoven, Brahms, Dvorak) mais Respighi (délirant), Elgar et le Sacre du Printemps (musique russe, certes et encore plus avec de tels interprètes) valent vraiment le détour.

 

Bref, si vous avez parfois l' impression de baigner dans la soupe, une petite cure de tripes à la moscovite s' impose !

Publié dans Le Palais d' Alec

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